0 Shares 764 Views

“TRANCHER” : quand une femme libère son désir

Hélène Kuttner 2 novembre 2025
764 Vues

© Claire Dietrich

Dans un seule en scène épatant, la jeune comédienne Sophie Engel, avec la complicité d’Héléna Sadowy, interroge le poids de la religion et de la tradition par le prisme des rencontres amoureuses. Comment combiner la passion amoureuse, le désir, avec des dogmes religieux ? Un spectacle drôle, décapant et d’une sincérité absolue.

“Pourquoi faut-il que je sois avec un juif ?”

© Claire Dietrich

La scène représente une chambre à coucher. En plein centre, un lit défait, véritable scène de combat où couette blanche, oreillers, gobelets et peluches constituent les reliques d’un duel perdu d’avance. Sophie Engel est allongée, en short et petit pull bleu ciel. Mais le constat est amer : l’amoureux qui partageait sa couche vient une nouvelle fois de la quitter. Est-ce parce qu’il n’est pas juif, et qu’une relation sérieuse est impossible ? Qu’elle lui formule ces mots qui le font fuir ? La comédienne rugit et vrille comme une tornade : elle pleure cet échec, se désespère, tout en nous avouant sa totale dépendance à un univers juif religieux qui la conditionne depuis toute petite. Elle doit mener l’enquête, comprendre l’aspect répétitif de ces échecs amoureux. La tête couverte d’un masque de plongée, les jambes protégées par des bottes de pêcheur, la voilà qui part à l’assaut du monstre aquatique tel Sherlock Holmes à l’assaut du Loch Ness pour faire face à ses vérités talmudiques.

Entre confession et catharsis

© Claire Dietrich

Il y a dans ce spectacle une énergie vitale qui fait du bien, une manière joyeuse et solaire de se saisir des problèmes à bras le corps, avec la tête et le cœur, qui évite le pathos et le grave. La comédienne est un véritable lutin drôle et spirituel, qui partage avec le public ses blagues, ses moqueries, ses interrogations et ses admirations. Sage ou clownesque, les cheveux attachés comme une jeune fille modèle ou la tête ébouriffée après s’être chamaillée avec ses démons historiques qui lui martèlent sans cesse le souvenir tragique de la Shoah et de la perte de mémoire, c’est une héroïne des temps modernes qui oscille sans cesse entre son devoir familial et sa liberté de jeune femme. Son récit s’inspire d’ailleurs beaucoup de sa propre vie, qu’elle mêle avec celui d’autres jeunes femmes qui se sont racontées.

Impure mais heureuse

© Claire Dietrich

Quant au garçon qui lui lit des pages entières du Lévitique sur l’impureté des femmes durant leurs règles et qui, après leur séparation et alors qu’elle a perdu trop de temps à faire semblant d’être heureuse, reviendra vers elle, il est déjà trop tard. C’est décidé, elle ne veut plus fréquenter de garçons juifs. Tout cela est mis en scène de manière ludique avec une marionnette géante qui symbolise le monstre, et une comédienne qui s’amuse, dans une autodérision quasi constante, navigant entre le rire et les larmes. Bannie par sa famille, seule héritière de cette tragique histoire familiale que la guerre en Europe centrale fera exploser, la voici qui rompt enfin le pacte qui devait faire d’elle un miroir parental parfait mais qui la transforme, à sa manière, en amoureuse apaisée et en femme libre de ses choix.

Hélène Kuttner 

En ce moment

Articles liés

Les Planches de l’ICART 2026 – Acte IX : l’appel à candidatures est ouvert !
Agenda
128 vues

Les Planches de l’ICART 2026 – Acte IX : l’appel à candidatures est ouvert !

Depuis huit ans, Les Planches de l’ICART, un tremplin de seul·e en scène organisé par les étudiant·e·s de l’ICART, met en lumière les voix et les corps qui feront vibrer la scène de demain. Cette année, l’Acte IX des...

« Les Petites Filles modernes (titre provisoire) » : le conte fabuleux de Joël Pommerat
Spectacle
194 vues

« Les Petites Filles modernes (titre provisoire) » : le conte fabuleux de Joël Pommerat

Au Théâtre Amandiers de Nanterre, refait à neuf après quatre années de travaux, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat réinvente l’adolescence, ses frayeurs et ses désirs d’absolu dans un conte qui tisse de manière fabuleuse le réel et...

La “Rolling Collection” à Tokyo : une ode à la créativité
Agenda
165 vues

La “Rolling Collection” à Tokyo : une ode à la créativité

Après avoir été présentée à Barcelone, Ibiza, Londres et Paris, la Rolling Collection a fait escale à Tokyo pour sa dernière étape de l’année. Organisée dans le monde entier par ADDA Gallery, l’exposition rend hommage à la ligne emblématique...